Blind Beast

Blind Beast
Aka : La Bête Aveugle | 1969 | Japan | 86 mins | Drame | Un film de Yasuzo Masumura | Avec Funakoshi Eiji, Sengoku Noriko et Midori Mako

Histoire originale : Rampo Edogawa

Scénario : Un sculpteur aveugle enlève et séquestre dans son atelier un modèle pour la soumettre à l’empire des sens afin qu’elle devienne une statue idéale. Comprenant après plusieurs vaines tentatives qu’elle ne pourra fuir ce cauchemar, la victime est peu à peu attendrie et envoûtée par son bourreau…

Critique

Plongé dans les lumières de la nuit, dans l’obscurité tout entière, je vois ce corps que je désire plus que tout au monde, je le sens à travers mes doigts, c’est l’œuvre de ma vie et je le veux pour moi, pour ma création, pour mon chef d’œuvre…Voici une belle phrase de mon imagination qui représente l’idée du film de Yasuzo Masumura, Blind Beast, tiré des écrits de Edogawa Ranpo et qui pour une fois et l’une des œuvres que j’ai déjà lu et que j’avais grandement appréciée et je dois dire de la voir sur grand écran, adapté par un célèbre réalisateur est un réel plaisir de cinéphile, surtout quand l’adaptation est à la hauteur de l’œuvre littéraire, car il faut l’avouer, Masumura réussit à retranscrire l’inquiétant et pervers univers avec succès dans une œuvre cinématographique dérangeante, perturbante, plongeant dans une perversité du corps et de l’esprit, parfois difficile à supporter. En effet, Blind Beast est un film pervers et passionnel, traité de manière magistrale par Masumura au travers du portrait d’un artiste sculpteur aveugle, de sa mère et de son modèle, forcé d’accepter la mission qu’on lui impose, devenir l’objet de son chef d’œuvre.

Dans Blind Beast, le thème de l’aveuglement est traité sous trois aspects, d’une part physiquement, par ce sculpteur ayant perdu la vue à la naissance cherchant à parfaire un art de la sculpture, l’aveuglement d’une mère, pleine d’amour pour son fils jusqu’à le suivre dans l’antre de sa folie et pour finir, l’aveuglement d’une femme pour la passion charnelle qui ira la conduire jusqu’au plaisir sado masochiste de la chair et de la mort.Ces trois formes d’aveuglements ne semble avoir aucune limite, à la manière d’un Oshima Nagisa dans L’empire des sens, le plaisir charnel vient peu à peu se transformer en jeu du vice et du sanguinaire, les similitudes ne sont pas un hasard, chacun des deux réalisateurs ayant cherché à produire des films sur les plaisirs du sexe. C’est à vrai dire, sans aucun doute, que le Japon est une caverne au sexe pervers, le sadisme, l’abandon de soi, le plaisir de la séquestration, aucun doute, il s’agit bien de cinéma japonais. Mais ici dans Blind Beast, il ne s’agit pas d’une œuvre grossièrement emprunte de cet univers, c’est un réel chef d’œuvre que nous livre Masumura avec ce huit-clos étouffant et même surréaliste, notamment par les œuvres du sculpteur allant à l’encontre de l’entente humaine, ces bouts de chair, chacun sur un mur indépendant, confronte le spectateur dans son propre malaise face au corps humain.

Blind Beast n’est pas un film pour tous, je pense que d’entrer dans un premier temps dans l’œuvre littéraire est un bon moyen pour accepter l’œuvre de Masumura, d’autant qu’elle se rapproche beaucoup de celle d’Edogawa Ranpo, l’interprétation y faisant pour beaucoup, Midori Mako, dans le rôle de la captive est diaboliquement excellente et même dérangeante dans les dernières dix minutes du film, qui nous envahit d’un profond malaise, nous inquiètent et nous subjuguent à la fois, c’est du grand art que nous livre Masumura, c’est intense, c’est puissant et terrifiant, un chef d’œuvre sensuel et inimaginable et pourtant la suggestion et le hors-champ des caméras viennent nous plonger dans un état second dans cette perle du cinéma japonais qu’il est immanquable de voir, si l’on prétend aimer le cinéma de ce pays.

Résumé
Date de la critique
Titre du film
Blind Beast de Yasuzo Masumura
Note
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