Crazed Fruit
Titre original : Kurutta kajitsu
Titre français : Passions Juvéniles
Réalisé par : Nakahira Ko
Année : 1956
Pays : Japon
Durée : 86 mins
Genre : Drame
Interprété par
Ishihara Yujiro
Kitahara Mie
Okada Masumi
Compositeur : Sato Masaru & Takemitsu Toru
Histoire originale : Ishihara Shintaro
Scénario : Natsuhisa, jeune débauché d’une bande, séduit Eri, le premier amour de son frère cadet, Harutsugu. Eri est attirée par le caractère “sauvage” et indomptable de Natsuhisa. Mais, au bout du compte, leur promenade en canot à moteur se terminera très mal.
Critique
Encore inconnu à ce jour pour moi, Nakahira Ko réalisait Passions Juvéniles en 1956, avant ses films Le Joueur en Noir en 1965 et le premier opus de Rica en 1972 et ce qui m’a étonné est que ce film est édité dans une version de la collection Criterion, une collection de prestige avec de grands films à l’appel et c’est ainsi que j’ai découvert ce premier film de Nakahira Ko, un film qui ne fait pourtant pas dans le grand cinéma du Japon, mais qui est sortie au meilleur moment qu’il soit, à une époque où le cinéma japonais avait besoin de ce genre de film, une œuvre que même Oshima Nagisa avait trouvé intéressante pour constituer le cinéma japonais contestataire de la nouvelle ère cinématographique, une mèche enflammée prête à déclencher la révolte des autres réalisateurs plus consciencieux.
Crazed Fruit est réellement une œuvre à contre-courant de l’époque, d’une part, le film s’ouvre sur un univers extérieur à l’époque où la très grande majorité des films se tournaient en studio, d’autre part, son style, avec un scénario cousu bout à bout, cadré, et un style du jeu de caméra quasi inexistant pour laisser place aux émotions des protagonistes, de simples personnages moins charismatiques et plus proches de la réalité, comme pour souligner la véritable jeunesse de cette époque.
Réalisait en 1956, Crazed Fruit offre un regard sur une jeunesse qui s’ennuie suite à la guerre, qui cherche à occuper son temps libre par la drague, l’alcool et les sorties dans les bars et night-club branchés de l’époque, ces délinquants modernes cherchent leurs limites et bravent la société à la recherche de liberté.
Combat contre les Etats-Unis, le démon de la guerre, Crazed Fruit n’oublie en rien cet aspect tout en le masquant aisément dans le scénario, ici, l’Amérique est représentée par le mari de la belle femme que les deux frères convoitent, mais également dans ces hors-bords et décapotable, symbole d’un style de vie américain.
Coté mise en scène, rien de vraiment transcendant, ici on approche d’une certaine formalité dans la mise en œuvre des protagonistes à l’aide d’un montage simplifié où certaines scènes se font longue, mais tout de même allégée par un score très jazzy et des teintes de musiques Hawaïennes pour coller à l’ambiance de l’œuvre.
Mais avant tout, Crazed Fruit est un symbole du cinéma japonais, son succès ne vient pas réellement de ses qualités innées, mais bel et bien de la dimension historique qu’il couvre, en effet, à sa sortie, le film a reçu un très bel accueil et faisait déjà comprendre aux studios de cinéma, que ce genre de film était bien une attente importante des spectateurs, qui devait se mesurer de plus en plus à la concurrence de la télévision et Crazed Fruit est l’un des premiers films à représenter une certaine sexualité chez les jeunes de cette nouvelle génération et c’est d’ailleurs ce même studio, la Nikkatsu, qui quelques années plus tard, lancera le genre du Pinku Eiga, le film érotique japonais, cependant, n’allez pas penser que Crazed Fruit est un film érotique, loin de là, mais qu’il est l’emblème d’une certaine libération de la sexualité cinématographique de l’époque au Japon.
À noter que la fin du film est simplement étonnante, cruelle et très sombre, cassant un idéal optimiste, un choc pour le spectateur, qui ne s’attend guère à celle-ci.
Crazed Fruit est donc un des films initiateurs d’un nouveau genre cinématographique japonais, même Oshima Nagisa était admiratif du film de Nakahira Ko, qui en quelques scènes avait réussi à chambouler le cinéma de l’époque et à annoncer un nouveau style, Crazed Fruit est donc un film que je conseille fortement, que se soit pour son contenu et son histoire, une petite perle du cinéma japonais qui mérite effectivement sa place dans la collection Criterion.
[youtube LAUvfeizCGA]
>et c’est d’ailleurs ce même studio, la Nikkatsu, qui quelques années plus tard, lancera le genre du Pinku Eiga
oulalala ça pique :) le pink-eiga a été initié en 1962 par de petits producteurs indépendants en contre-courant aux grands studios dont la Nikkatsu faisait parti. Sur le genre du Taiyozoku (Tribu du Soleil), Crazed Fruit est indissociable de son ainé La saison du soleil sorti peu de temps auparavant, et qui a donné son nom au mouvement. Films d’importance capitale même si relativement mineurs d’un point de vue artistique.
Merci de cette précision Martin.
La Nikkatsu a tout de même diffusé un grand nombre de Pinku-Eiga par la suite, si je ne me trompe pas ? Elle n’est peut-être pas celle ayant initié le mouvement, comme tu semble le montrer, mais elle à bien participer à son développement ? Où fais-je fausse route ?
J’aurais juré quelle en était au moins en partie responsable…
Bon en fait c’est encore plus compliqué que ça.
– La Nikkatsu a lancé sa ligne de films érotiques ‘Roman-Porno’ en novembre 71 (et jusqu’au ’88). Il faut absolument faire le distinguo entre Pink-eiga et roman-porno. Les films érotiques de la Nikkatsu se distinguent sensiblement (du moins au début) de ces alter-égos indépendants, au sens qu’il y une véritable imagerie ‘romantique’ et ‘jeune’ issue de l’héritage culturel et esthétique du studio, il s’agissait vraiment d’une vague érotique mainstream déboulant dans les grandes salles (mixtes) du réseau Nikkatsu, et non pas de pellicules atterissant dans les petites salles de quartier reservés exclusivement aux pink-eiga et surtout à un public 100% masculin (le terme initial – eroduction est en fait plus clair car faisant reference explicitement aux modes de production independants de ces films plus qu’a son contenu )
– Par contre la Nikkatsu a bien influencé le pink-eiga de façon décisive même si indirecte et involontaire, un film comme La Femme Insecte (sorti en 1963) est apparu après coup comme une véritable matrice thématique et esthétiique du genre! Plus connu, La barrière de chair (64) est aussi à noter mais son influence semble bien moindre. La teneur érotique chez la nikkatsu des années 60 se limitait pour le reste aux atours ‘sexy’ des starlettes (voir La marque du tueur)
Si on y ajoute l’influence fondamentale de Crazed Fruit et La Saison du soleil, La Nikkatsu apparait donc comme le grand studio ayant participé à l’avènement de l’érotisme sur les écrans (au contraire des autres studios très conservateurs). L’autre studio (plus modeste et fermé en 61) à citer est la Shin-Toho, véritable laboratoire des genres où apparaissent les germes de l’érotisme, l’iconisation des figures feminines et l’avenement d’une fascination envers la violence et le ‘grotesque’.
et enfin le grand boom érotique chez les grands studio fut en 1968 où les difficultés financières forcèrent les studio Toei et Daiei à insuffler des élements erotico-violents absent à la TV (voir la série Tokugawa ou La Bête aveugle de Masumura (dont les films précedents ressemblait en fait par certains aspects à … des romans-pornos … mais on va s’arreter là pour ce coup çi pour ne pas tout embrouiller)… la Nikkatsu ayant en fait un bon wagon de retard pour incorporer l’érotisme plus corsé à ses films .. retard qui l’a surement contraint à la conversion brutale et radicale au genre érotique … et je n’aborderait pas les independants ‘auteur’ ayant bien louché sur la chair fraîche et autre thématique de l’inceste.
Et bien je dois dire que cette clarification est bourrée de détails que je ne connaissais point.
Celà fait plaisir de trouver des personnes ayant une si grande connaissance dans le domaine, je pensais en savoir pas mal, mais je vois qu’il me reste beaucoup à apprendre.
Critique de film ? Journaliste cinématographique ? Vu l’accumulation de donnée en si peu de temps, je doute que tu sois qu’un simple amateur de cinéma asiatique comme je peux l’être, ou dans ce cas, un sacré bourru du domaine.
En tout cas, un gros merci pour ces précisions des plus intéressantes, rares ont été les commentaires aussi profonds et détaillés que celui-ci, à coté, je passe pour un débutant dans le domaine ^^
Je pense que certains des lecteurs ici seront également content d’en apprendre plus sur l’apparition du genre Pinku-Eiga et du Roman Porno de manière aussi détaillée.